Dans la maison qui
touche la cure de son père à Nuenen, quatre sœurs vivent
avec leur père. Très dévotes, portant secours aux malades, aux pauvres,
elles visitent souvent la mère de Vincent depuis son accident. La plus
jeune, Margaretha Cornelia (dite Margot) Begemann (elle a quand même trente-huit
ans), s'attache à Vincent. Une liaison qui commence très discrètement…
Il travaille avec ardeur. Il peut même rembourser ses dettes : " Je me
félicite de ne plus rien devoir à mes fournisseurs ". Une situation rarissime…
Entre les soins qu'il porte à sa mère, l'étude des tisserands, et Margot,
il a oublié Sien.
Mais pour épouser Margot, il a besoin de se justifier " dans l'ordre social
". Il fait une nouvelle proposition à Theo : " Je t'enverrai mon travail,
tu prendras ce que bon te semblera mais je tiens à considérer l'argent
que je recevrai de toi, après le mois de mars, comme de l'argent gagné
". Discrètement, mais avec aplomb, il est revenu sur sa décision de ne
plus accepter son argent - comment faire autrement ? - et transforme son
" ultimatum " en un nouvel arrangement qui implique aussi que Theo s'occupe
de vendre ses œuvres. Mais celui-ci résiste. S'il est toujours d'accord
pour l'aider financièrement, il n'est pas question pour lui d'être obligé
de vendre ses œuvres.
Après quelques semaines de tensions, Theo, qui est augmenté, envoie
à Vincent beaucoup plus d'argent que d'habitude. Cette somme de 200 florins
inattendue est vraiment la bienvenue. Elle permet à Vincent de louer un
grand atelier et de disposer de plus de modèles.
Ses rapports avec les villageois sont cordiaux ; ils lui ont donné un
nouveau sobriquet qui lui plaît bien : " le bonhomme peintre " et trouve
que les gens de Nuenen valent mieux que ceux d'Etten ou de Helvoirt. "
L'atmosphère, dit-il, m'y paraît plus sereine ".
Il est amoureux, lit Coppée, en recopie des extraits pour Theo, des passages
transparents :
" Je ne peux plus aimer, moi qui n'ai que trente ans et je viens de quitter
sans regrets ma maîtresse. Parais - si tu peux encore électriser Ce misérable
cœur sans désir et sans flamme ".
Même s'il n'aime pas Margot comme il a aimé Kee ou Eugénie, il semble
attendri… Elle le fait penser à " un violon de Crémone qui aurait été
abîmé par des réparateurs incapables ". Elle est douce, délicate, l'accompagne
pour de " paisibles promenades ". Il l'apprécie et la respecte : " Comme
je prévoyais l'avenir, je l'ai toujours respectée à un certain point de
vue, afin que la société ne la tienne pas pour déshonorée. Je l'ai tenue
plusieurs fois en mon pouvoir, si j'avais voulu ".
Il espère : " Le projet de me fixer dans le Brabant me sourit à nouveau...
Il se peut cependant que je doive me préparer à une nouvelle éventualité
"…
Mais la famille
de Margot va s'opposer avec violence à leur idylle. Il est hors de question
que leur sœur épouse ce va-nu-pieds tout juste sorti des bras d'une prostituée…
Il en veut à sa dot, c'est sûr...
Margot est secouée… Elle, si douce et fragile, ne comprend pas : " Elle
a cru avoir commis une faute terrible, puisqu'on l'accablait de reproches.
Elle a été affectée au point de se sentir abandonnée par tout et par tous
". On médit d'elle. Margot n'est pas une femme forte, elle a toujours
été écrasée par ses sœurs… Elle confie à Vincent qu'elle n'en peut plus,
qu'elle voudrait mourir. Lors d'une promenade, elle s'évanouit. Vincent
s'inquiète et réussit à lui faire avouer qu'elle a avalé de la strychnine
dans un accès de désespoir.
On l'amène chez un ami médecin. Vincent rapporte ses malheurs à Theo,
les oppositions qu'il rencontre dans ce milieu d'hypocrites : " Qu'est-ce
que le rang social, écrit-il, qu'est-ce que c'est que cette religion dont
les gens honorables tiennent boutique ? En agissant de la sorte, ils pourraient
la conduire au tombeau ".
La santé de Margot est fortement ébranlée : " il faut craindre la "melancolia"
ou la "mania religiosa" ". Le médecin dit qu'elle est trop faible pour
se marier et lui conseille d'en abandonner l'idée.
Vincent doute et en vient à regretter son affection : " Je demeurerai
son ami : nous nous sommes peut-être trop attachés l'un à l'autre "...
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