Vincent
est à Etten. Après les trois années de misère qu'il vient de vivre, il
se sent mieux, prend le temps de lire, continue de dessiner. Sa sœur Willemina
pose pour lui. Il s'est aussi rapproché de Theo…
Tersteeg, son ancien patron et son oncle Cent lui reconnaissent des progrès
dans ses dessins et une bonne volonté pour apprendre.
Sa cousine Kee est à Etten. Elle est venue s'y reposer avec son fils de
quatre ans. Veuve depuis peu, elle est triste, et passe de sombres années
depuis la maladie et la mort de son mari... Vincent comprend sa souffrance
et son jeune fils a droit à toutes ses attentions.
Kee est belle et sombre. Il se met à l'aimer en silence et se laisse aller
à espérer. Mais elle en aime un autre, qui n'est plus là…
Et, de même qu'avec Eugénie, quand il finit par se déclarer brutalement,
il essuie un refus inexorable : " Jamais, non, jamais de la vie "… Elle
quitte Etten le jour même. Ce " Jamais, non, jamais de la vie "… le torture.
Cette phrase reviendra de très nombreuses fois dans ses lettres. Il la
considère " comme un glaçon qu'il me faut serrer sur mon cœur pour le
faire fondre ". Mais il n'a pas le choix. Les " gens âgés " : sa famille,
ses oncles - ont décidé de déclarer l'affaire " comme terminée, classée
". Son insistance est jugée " déplacée, indélicate " et on lui demande
instamment de ne plus écrire à Kee ou à ses parents. Il est même menacé
de renvoi d'Etten.
Theo sera le confident tardif de ce combat. Plus de trois mois après,
Vincent lui confiera son désespoir, son choix " de ne pas renoncer, de
ne pas se résigner, de faire fondre ce glaçon du " Jamais, non, jamais
de la vie "…
Dans une lettre à Van Rappard, il confond étrangement son amour pour Kee
avec son amour de l'art : " Je suis tombé éperdument amoureux d'une dame
nature ou réalité… Je prétends la conquérir, je cherche la clef de son
cœur en dépit des coups qu'elle me donne sur les doigts "…
Kee ne répond toujours pas. Il envoie une lettre recommandée à son père
pour le sommer de lui laisser voir sa fille, puis, un soir, se présente
chez eux, à l'heure du dîner. La famille est à table. On le fait entrer.
Kee a quitté la maison dès qu'elle a su qu'il était là. Après le repas,
le révérend Stricker et sa femme tentent de le raisonner mais Vincent
insiste toujours pour parler à Kee. Il met sa main sur la flamme d'une
bougie et demande qu'on lui accorde de la voir " le même temps que sa
main restera sur cette flamme "… Le révérend éteint vite la bougie et
le raccompagne gentiment.
Vincent reste encore deux jours à Amsterdam. Il a un nouvel entretien
avec le révérend Stricker et sa femme qui lui apprennent que Kee " répugne
" à le voir et déplore vivement son insistance…
Le lendemain, il part pour La Haye, va voir son cousin le peintre Mauve
et lui tient un discours énergique : " Il avait été convenu que tu viennes
à Etten et que tu essaierais de m'initier peu ou prou aux mystères de
la palette. Mais je me suis dit que cela pouvait se faire en quelques
jours, et je viens donc chez toi, et si tu acceptes, j'y resterai trois,
quatre, cinq ou six semaines, aussi longtemps ou aussi peu que tu voudras.
Nous devons voir ensemble ce qu'il est possible de faire... C'est une
demande assez brutale, mais j'ai l'épée dans les reins ".
Mauve l'accueille, regarde ses nouveaux dessins, puis le met sans attendre
au travail devant une nature morte. Les jours suivants, Vincent trouve
un logement près de chez lui. Il œuvre sous sa direction pendant quelques
semaines, suit tous ses avis et le déclare son Maître.
La lettre que Vincent doit alors écrire à Theo n'est pas facile. Il lui
faut expliquer son geste incongru chez les parents de Kee, mais aussi...
que... finalement, il a trouvé une autre femme, une âme sœur…
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