Vincent
Van Gogh, après des études écourtées, est
employé à l'âge de 16 ans dans la galerie d'art à
La Haye que son oncle venait de vendre à la société
Goupil. L’enfant taciturne et solitaire de la campagne se transforme
progressivement en un jeune galeriste compétent, actif, cultivé.
Il
aime son métier, visite les musées et s’ouvre à
l’art de son temps
Quatre ans plus tard, la firme Goupil se développe et décide
de l'envoyer à sa nouvelle succursale de Londres.
Bien que malheureux de "quitter tant d'amis", Vincent apprécie
la grande ville avec ses magnifiques parcs. Après quelques mois,
il s'installe dans une nouvelle pension tenue par une mère et sa
fille. Il y coule des jours heureux, passe les fêtes avec elles
et tombe amoureux d'Eugénie. Mais son amour n'est pas partagé.
Eugénie est déjà fiancée.
Cette douloureuse déception amoureuse va entraîner une grave
dépression. Ce premier amour contrarié aura des répercussions
importantes sur son travail. Sa destinée s’infléchit
; la sérénité et la joie de vivre des années
de La Haye sont définitivement révolues…
« Ma vie a sombré quand j’avais vingt ans »…
Comme il néglige son travail, ses employeurs, après l'avoir
muté à Paris, se séparent de lui. Une décision
qu’il ne comprend pas vraiment. S’il reconnaît avoir
fait des choses « qui furent des erreurs », il envisageait
plutôt de travailler dans l’imprimerie de lithographies qui
appartenait à la même maison, mais, après sept ans
de bons et loyaux services, il se retrouve sans travail et décide
de chercher un poste de répétiteur en Angleterre.
Pourquoi en Angleterre ? Connaissant le milieu, il aurait pu
trouver un autre emploi dans la même branche à La Haye ou
à Paris… Mais son désir est de retourner en Angleterre.
Il lit des journaux anglais en quête d’un nouvel emploi et
quand il reçoit la réponse d’un petit internat de
la ville de Ramsgate, il n’hésite pas, bien qu’aucun
salaire ne lui soit proposé. Il aura simplement le gîte et
le couvert en échange de cours donnés à des adolescents.
Pourquoi retourner en Angleterre ? Espérait-il encore
quelque chose de celle qu’il aimait ? Eugénie avait été
pourtant très claire : elle était fiancée à
un autre et ne comprenait pas son insistance. Dès qu'il s’est
déclaré, on lui a demandé de quitter la pension le
jour même et de ne plus revenir… Mais malgé tout, Vincent
espère encore…
De Ramsgate, il se rendra à pied à Londres (deux jours de
marche) pour voir Eugénie. Probablement mal reçu, il persévèrera
et reviendra plusieurs fois chez elle durant son second séjour
anglais.
Vincent
à Ramsgate
Après avoir quitté Paris fin mars,
Vincent passe une quinzaine de jours chez ses parents à Etten et,
le 16 avril, prend le train pour rejoindre le bateau qui l’amènera
à Harwich, et de là, en train, via Londres, à Ramsgate.
Dans
sa première lettre de Ramsgate, il décrit son voyage, sa
nouvelle installation : sa chambre donnant sur une place ouverte sur la
mer...
Il
décrit ensuite le bâtiment où est l’école
et où il habite : « La maison est bâtie sur un
terrain découvert (toutes les maisons d'alentour sont semblables.
C'est souvent le cas ici) ; au milieu de la plaine s'étend une
grande pelouse, entourée d'une clôture en fil de fer et encadrée
de lilas ; les garçons y jouent à l'heure de midi. La maison
où se trouve ma chambre est aussi bâtie sur cette plaine
».
Accompagnant
cette lettre, un premier dessin d’une petite place en bord de mer
après la pluie.
Ce dessin montre une petite place dans un tournant, le coin d’un
immeuble, un jardin, trois lampadaires… Au loin, la mer avec deux
jetées à l’horizon.
Dans
son dessin, la place est totalement vide, le ciel est lourd de nuages,
le sol est humide comme après la pluie. Il n’y a pas âme
qui vive...
Un dessin qui indique la profonde solitude que ressent celui qui regarde
cette place. Il personnifie l’absence, le manque…
«
Le pays est très beau, de ce côté. Les maisons qui
donnent sur le large sont, pour la plupart, construites en un style gothique
simple, en pierre jaune ; elles ont des jardins pleins de cèdres
et d'arbustes toujours verts, au feuillage sombre.
Il
y a un port rempli de bateaux, fermé par des jetées de pierre
sur lesquelles on peut se promener. Au-delà, c'est la mer à
l'état nature, et c'est beau. Hier, tout était gris ».
Dans
ce petit pensionnat, Vincent enseigne le français, l’arithmétique,
fait réciter aux enfants leurs leçons et aide à la
toilette des plus jeunes.
Il répond à son frère : « Tu me demandes
ce que je dois enseigner à ces jeunes garçons : surtout
le français (les éléments). L'un d'eux a commencé
l'allemand. Et puis, un peu de tout : l'arithmétique ; je leur
fais faire des dictées, réciter leurs leçons, etc.
Pour le moment, donner des leçons n'est, par conséquent,
pas très difficile. Faire en sorte que ces garçons les apprennent
sera plus dur.
Il va sans dire que je dois aussi surveiller un peu les garçons
en dehors des heures de classe. Mon temps est donc assez pris et le sera
sans doute davantage. Samedi dernier, j'ai fait, le soir, la toilette
de cinq ou six des jeunes gaillards, plutôt pour m'amuser, et parce
que cela permettait d'être prêt à temps, que parce
que j'y étais obligé.
J'ai aussi essayé de leur donner le goût de la lecture. J'ai
pas mal de choses qui pourraient leur convenir : Le vaste, vaste
monde, par ex. etc. etc ».
La mer le fascine, lui l’enfant de la campagne qui a dû la
voir assez tard, à Scheveningen, près de la Haye. De
l’avoir sous ses yeux, si proche, le ravit. Il la regarde beaucoup,
surveille ses mouvements, ses nuances.
Il raconte ses
promenades avec les enfants sur le rivage : « Nous allons souvent
sur la plage. Ce matin, j'ai aidé les garçons à construire
un fort avec du sable, comme nous faisions à Zundert dans le jardin...
«
Je voudrais que tu puisses venir regarder ce qu'on voit par la fenêtre
».
Puis,
dans la lettre suivante, une autre promenade : « C'était
au bord d'une petite baie. La route qui y menait passait à travers
des champs de jeune blé, le long de haies d'aubépine, etc.
Une fois là, nous avions à notre gauche une falaise abrupte,
de sable et de pierre, de la hauteur d'une maison de deux étages...
La
terre où nous marchions était couverte de grandes pierres
grises, de craie, de coquillages. A notre droite, la mer, aussi plate
qu'un étang, reflétait la lumière d'un doux ciel
gris, où le soleil se couchait. Le flot se retirait, l'eau était
très basse ».
Tout en haut poussaient des buissons noueux d'aubépine dont les
troncs et les branches, noirs ou couverts de mousse grise, étaient
tous penchés du même côté ; avec aussi quelques
pieds isolés de sureau.
Il
ne cesse d’observer la mer
: « Nous voici de nouveau samedi soir. Le temps aujourd'hui
est de nouveau beau. En ce moment, la mer est très calme ; c'est
marée basse, le ciel est d'un bleu pâle, délicat,
avec, au loin, un rideau de brume. Ce matin de bonne heure, il faisait
déjà beau ; alors tout était clair, là où
maintenant la brume est levée.
La ville où nous sommes a quelque chose de très particulier
; le voisinage de la mer s'y trahit partout ».
Quelques
jours après, de la fenêtre de sa chambre, il assiste à
une tempête : « La mer était d'un jaune d'ocre,
surtout le long de la plage, et l'horizon était traversé
d'une bande de lumière. Par là-dessus, les nuages roulaient,
énormes, redoutables, d'un gris sombre ; la pluie en tombait en
rayons obliques. Le vent envoyait dans la mer la poussière du sentier
qui court sur les rochers, secouait les buissons d'aubépines en
fleur et de mûriers sauvages qui poussent là...
Malgré
son sentiment mélancolique, il trouve dans ce pays, devant cette
mer, une consolation : « Ce sont vraiment des jours heureux,
ceux que je passe ici, jour après jour; pourtant c'est un bonheur
et une paix auxquels je ne me fie pas entièrement. Mais une chose
peut sortir de l'autre. L'homme n'est pas aisément satisfait ;
tantôt il trouve qu'il a de la chance, puis le voilà de nouveau
mécontent. Toutefois, je mets tout ceci entre parenthèses
; mieux vaut n'en pas parler. Plutôt suivre notre route en silence
».
Après
une autre nuit sans dormir : « J'ai aussi regardé la
mer pendant la nuit de ce dernier dimanche. Tout était sombre et
bouché, mais, à l'horizon, le jour commençait à
poindre. Bien qu'il fût très tôt, déjà
l'alouette chantait, et les rossignols, dans les jardins au bord de la
mer. Au loin, les feux du phare, du stationnaire, etc ».
Il
poursuit : « Au cours de cette même nuit, j'ai regardé
par la fenêtre de ma chambre les toits des maisons que l'on voit
de là et les cimes des ormes, noirs sous le ciel nocturne. Par-dessus
les toits, une seule étoile, mais belle, grande, amicale. Et je
pensais à nous tous, et aux années que j'ai déjà
vécues, à nous chez nous ; et des mots me venaient aux lèvres
: « Gardez-moi d'être un fils dont on puisse rougir, donnez-moi
votre bénédiction, non parce que je la mérite, mais
pour l'amour de ma Mère. Vous êtes amour, couvrez toutes
choses. Sans votre bénédiction, rien pour nous ne peut réussir!
»
Le
31 mai 1876, plus d’un mois après, il envoie à Theo
un deuxième dessin de la même vue, sans sembler se rappeller
du premier.
Ces
deux dessins très proches ne sont pas dans le même format
: le premier est en largeur, le deuxième, simplifié, sans
nuages, ni ombres, est inscrit dans un format carré.
Si
le premier a été envoyé sans aucun commentaire, ce
second dessin est accompagné d’explications : « Voici
un petit dessin que l’on a de la fenêtre de l’école.
C’est par cette fenêtre que les garçons suivent du
regard leurs parents quand ceux-ci leur ont rendu visite et s’en
retournent vers la gare. Il en est plus d'un qui n'oubliera sûrement
jamais la vue qu'on a de cette fenêtre. Il aurait fallu que tu la
voies, cette semaine, par la pluie, surtout au crépuscule, quand
les réverbères s'allumaient, que leurs lumières se
reflétaient dans les rues mouillées ».
Il ajoute : « Il en est plus d’un qui n’oubliera sûrement
jamais la vue de cette fenêtre »...
En
fait, Vincent reconnaît là un douloureux
souvenir
personnel (qui reviendra plusieurs fois dans ses lettres) : celui du jour
où il vient d’être accompagné dans un petit
pensionnat protestant à Zevenberger. Il a alors onze ans et regarde
la diligence de ses parents qui s’en va : «
... debout sur le perron, auprès de M. Provily, je regardais
votre voiture s'en aller sur la route mouillée »...
C'est la première fois qu'il quitte sa famille. Il se sent abandonné,
en quelque sorte rejeté, ses frères et sœurs restant
à la maison.
De ce pensionnat,
il garde un goût amer : « Ma vie est aussi inutile que
quand j’avais douze ans et que j’étais à l’école
où je n’ai rien appris ».
Ce sentiment mélancolique le poursuit : « Ces derniers
jours, M. Stokes n'était pas toujours de très bonne humeur.
Quand les garçons faisaient trop de bruit à son gré,
il lui arrivait de les priver le soir de leur pain, de leur thé.
C'est alors que tu aurais dû les voir, debout, devant cette fenêtre
! Le tableau ne manquait pas de mélancolie. Ces enfants ont si
peu de chose à attendre, d'un jour à l'autre, en dehors
de leur nourriture et de la boisson ! Je voudrais que tu puisses les voir
descendre le petit escalier, traverser le petit couloir sombre et se diriger
vers la table. Mais l'amitié du soleil ne luit pas moins sur tout
cela.
Un autre endroit singulier de l'école, c'est la chambre au plancher
pourri où se trouvent les six cuvettes où ils se lavent.
Une avare clarté tombe sur les lavabos par la fenêtre aux
carreaux cassés. Cela aussi est mélancolique. Je voudrais
être ou avoir été un hiver avec eux, savoir comment
les choses se passent, par le grand froid ».
La vue de cette fenêtre et le sentiment de vide qui l'accompagne,
nous renvoie à toutes ses grandes perspectives un peu vides, vues
d’un léger surplomb, qu’il a peints ou dessinés
tout au long de sa vie, jusqu’aux toutes dernières toiles
d’Auvers…
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Après
Ramsgate
L’école de M. Stokes déménageant dans la banlieue
de Londres, à Isleworth, Vincent y cherche un travail rémunéré,
qu’il trouvera chez le révérend Slade-Jones. Il y
restera quelques mois, puis quittera définitivement l’Angleterre
(voir : « Vincent en Angleterre »).
Vincent
en Angleterre
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