Julien
Tanguy
Né
en 1825 à Saint Brieuc, Julien Tanguy arrive à
Paris vers 1860, travaille comme plâtrier, puis comme
broyeur de couleurs.
Révolutionnaire, il participe à l insurrection
de la Commune de Paris en 1870, est arrêté puis
emprisonné pendant quatre ans à Brest.
A son retour du bagne, il ouvre une petite boutique de marchand
de couleurs rue Clauzel où ses convictions seront mises
au service des artistes d avant-garde.
Sa petite boutique à l'unique vitrine a vu passer
parmi les plus grands artistes de l'époque : Cézanne,
Monet, Seurat, Degas, Manet, Gauguin, Toulouse-Lautrec, E.
Bernard,
et bien sûr, Van Gogh avec qui il se liera d'amitié.
Rue
Clauzel.
Selon
Emile Bernard : « L'école de Pont-Aven est
née dans la boutique du père Tanguy ». «
Pendant des années, dit-il, on allait chez Tanguy comme
au musée pour voir les quelques études de l'artiste
inconnu Paul Cézanne. Il était alors une des rares
personnes à croire en son talent. Les membres de l'Institut,
les critiques influents et les critiques réformateurs
visitaient ce modeste magasin, devenu à son insu la fable
de Paris et la conversation des ateliers ».
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Ainsi,
Monet, artiste encore peu connu a rapporté cette anecdote
à Sacha Guitry : « Van Gogh a fait un admirable
portrait du père Tanguy. Le père Tanguy était
marchand de couleurs, rue des Martyrs. Sa boutique était
tout à fait minuscule et sa vitrine si petite qu on
ne pouvait y montrer qu'un tableau à la fois. C est
là que nous avons commencé, chacun de nous, à
exposer nos toiles. Le lundi, Sisley, le mardi, Renoir, le
mercredi,
Pissarro, moi le jeudi, le vendredi, Bazille, et le samedi
Jongkind.
C est donc ainsi que chacun à son tour nous passions
une journée dans la boutique du père Tanguy.
Un
jeudi, je bavardais avec lui sur le pas de sa porte, quand
il
me désigna du doigt un vieux petit monsieur, portant
collier de barbe blanche, important, chapeau haut de forme,
qui descendait à petits pas la rue. C était
Daumier - que je n avais jamais vu. Je l'admirais
passionnément et mon coeur battait fort à la
pensée
qu il allait peut-être s'arrêter devant
ma toile. Prudemment, nous rentrâmes dans la boutique,
Tanguy et moi, et, au travers des rideaux de lustrine que j
écartai
un peu, je guettai le grand homme. Il s arrêta,
considéra ma toile, fit la moue, haussa l une de
ses épaules - et s en alla. M ayant raconté
cela Claude Monet me regarda fixement et, gravement me confia
: Cela été le plus grand chagrin de
ma vie ». (Sacha Guitry, Portraits et anecdotes).
Le « Socrate de la rue Clauzel », comme l'ont
surnommé les peintres de l atelier Cormon, se déplaçait
aussi pour vendre ses couleurs et ses toiles dans les ateliers
et sur les lieux fréquentés par la génération
des Impressionnistes : la Grande Jatte, Barbizon, Argenteuil &
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Les
premiers mois où Vincent Van Gogh est à Paris,
il vit chez son frère rue Massé (anciennement
Laval, au 25) qui est toute proche de la rue Clauzel où
se trouve la boutique de Tanguy. |
A
la recherche de matériel de peinture le moins cher,
Vincent
a pu découvrir cette boutique, à moins que Theo,
depuis longtemps à Paris, ne l'ait fait connaître
à Vincent. Toujours est-il que Tanguy va devenir le
principal
fournisseur de toiles et de peintures de Vincent, puis son
premier
marchand. Les oeuvres de Vincent seront exposées
dans sa petite vitrine et à l'intérieur
du magasin. Vincent y rencontrera de nombreux peintres.
Il est avéré que Tanguy, très généreux
avec Vincent, échangeait des Suvres contre de la
peinture ou des toiles. Il lui a aussi acheté quelques
peintures. Dans une lettre à Theo (506 F), concernant
le portrait de leur ami (peint en janvier 87), il déclare
: « il est vrai que l'on m'a payé 20 francs pour
le dernier ». A cette même époque, il réalise
aussi le portrait de Madame Tanguy.
Plus tard, en septembre, en compagnie de Bernard devenu son
ami le plus proche, il retravaille à deux nouveaux portraits
de Tanguy (d'après un dessin préparatoire).
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En
arrière-plan de ces deux tableaux, des ukiyo-e (estampes
japonaises) représentant un cerisier en fleurs, une geisha,
le Mont Fuji et un bouquet de belle-de-jour.
Le nom du père Tanguy revient dans de nombreuses lettres
que Vincent écrit à son frère après
son départ de Paris. Des lettres d'Arles, de Saint
Rémy ou d'Auvers.
Ainsi, en avril 1888, d Arles, Vincent Van Gogh écrit
à Theo : « Dis bonjour à Tanguy pour moi.
C est un si drôle de bonhomme, et je pense encore
souvent à lui. S'il veut des tableaux pour sa vitrine,
il en aura d ici, et des meilleurs. Les gens sont la racine
de tout. »
En juillet, toujours à propos de Tanguy, il écrit
: « Je ne sais si je pourrai peindre le facteur comme
je le sens, cet homme est comme le père Tanguy en tant
que révolutionnaire, il est considéré comme
bon républicain parce qu'il déteste cordialement
la république de laquelle nous jouissons, et parce qu
en
somme il est désenchanté de l idée
républicaine elle-même ».
Plus loin : « Si j arrive à vivre assez vieux,
je serai quelque chose comme le père Tanguy ».
Toujours en juillet, Tanguy, qui rencontre de graves problèmes
financiers, envoie à Theo un récapitulatif de
ce que lui doit Vincent (il l a fait aussi pour Cézanne
et probablement pour d autres peintres).
Mais Vincent nie une part de ce « compte absurde »
et en veut surtout à la mère Tanguy qu il
accuse d être vénéneuse, « Xantippe
» qui maltraite son mari : Pour lui, « Tanguy antique
chrétien est plus martyr et esclave que maquereau ».
Il demande néanmoins à Theo de ne pas se fâcher
avec lui et d en régler une partie.
Quelques semaines plus tard, il demande à Theo d «
échanger avec Tanguy ses fleurs avec une nouvelle étude
».
Quand Vincent se lie avec le facteur Roulin, il le compare au
père Tanguy : « figure très socratique.
Républicain engagé comme le père Tanguy.
Un homme plus intéressant que bien des gens ».
Le 9 septembre, dans une lettre à Theo, Vincent lui demande
de donner à Tanguy d autres toiles: « Si
tu donnais au père Tanguy la couleur plus grossière,
il ferait cela probablement bien. Les autres couleurs fines
sont réellement inférieures, surtout pour les
bleus. J espère gagner un peu de qualité
».
Le 22 septembre, rêvant d « une existence
de peintre japonais, vivant bien dans la nature et petit bourgeois
», il déclare : « Si j arrive à
vivre assez vieux, je serai quelque chose comme le père
Tanguy ».
Quand Theo s installe avec sa femme Cité Montmartre,
il loue une mansarde dans la maison de Tanguy pour entreposer
les très nombreuses toiles que Vincent lui a envoyé.
Il écrit : « Tanguy expose beaucoup de toiles,
espère vendre le banc avec le lierre ».
Tanguy proposait à la vente les plus belles peintures
de Vincent. Le 12 février, quand Theo envoie des toiles
de Vincent pour une exposition, Vincent lui écrit : «
je t'enverrai quelques toiles, si pas sèches, tu ferais
un choix dans celles qui sont chez Tanguy ».
Le premier article de presse qui évoque Vincent l associe
à la boutique de Tanguy : « Aurier s'intéresse
beaucoup à ce que tu fais et a montré un petit
journal qu'il dirige où il parle de la boutique de Tanguy
et où il cite aussi tes tableaux ».
Mais quand il quitte Saint Rémy pour Paris, Vincent est
très déçu de la façon dont ses toiles
sont remisées dans la mansarde de l immeuble de
Tanguy et voudrait vite les récupérer.
Installé à Auvers, il cherche un nouvel atelier
: « J'ai encore rien trouvé d'intéressant
en fait d'atelier possible et il faudra pourtant prendre une
chambre pour mettre les toiles qui sont de trop chez toi et
qui sont chez Tanguy. car il faut beaucoup y retoucher »
(638 T 3 juin).
Le mardi 10 juin (l 640), il écrit : « Veuillez
prier le père Tanguy de se mettre incontinent à
l'Suvre pour déclouer toutes les toiles qui sont
sur châssis là-haut dans la mansarde. Il fera des
rouleaux des toiles, des paquets des châssis. Alors j'enverrai
le messager de Pontoise ou bien je viendrai dans une quinzaine
avec M. Gachet pour en prendre une partie ».
Dans
quelle mansarde étaient déposées les Suvres
de Vincent ?
Quand il est à Auvers sur Oise, Vincent fait toujours
acheter ses fournitures chez Tanguy, comme le prouve cette lettre
(642) du 16 juin où il écrit : « prendre
la couleur chez Tanguy qui se donne du mal à emballer
les toiles ».
Dans la lettre de Theo du 5 juillet : « Viens donc dimanche
si tu veux par le premier train, tu verras le matin Walpole
qui vient voir tes tableaux chez Tanguy.
Ne supportant pas de voir ses Suvres se détériorer,
Vincent cherche un atelier à Auvers : « Je peux
avoir un logement, trois petites pièces à 150
f par an, si je ne trouve pas mieux, et j'espère trouver
mieux, en tous cas préférable au trou à
punaises chez Tanguy et d'ailleurs j'y trouverais un abri moi-même
et pourrais retoucher les toiles qui en ont besoin. De telle
façon les tableaux s'abîmeraient moins et en les
tenant en ordre la chance d'en tirer quelque profit augmenterait.
car - je ne parle pas des miennes - les toiles Bernard, Prévot,
Russell, Guillauminn, Jeanin qui étaient égarées
là, n'est pas leur place ».
Tanguy sera très peiné de la mort de Vincent.Octave
Mirbeau, visitant Tanguy après l enterrement de
Vincent, rapporte ses propos : « Ah ! Le pauvre Vincent
! s exclamait douloureusement Tanguy. Quel malheur, Monsieur
Mirbeau ! Quel grand malheur ! Un pareil génie ! Et
si
bon garçon ! Tenez, je vais encore vous en montrer de
ses chefs-d Suvres ! » Le Père Tanguy
alla chercher des Van Gogh dans son arrière-boutique.
Il revint avec quatre ou cinq toiles sur les bras et deux dans
chaque main, dit Mirbeau, puis il les disposa amoureusement
contre le dossier des chaises. Tout en cherchant pour les toiles
le jour favorable, il continuait à gémir : «
Le pauvre Vincent ! 'en est-il des chefs-d'oeuvre,
oui ou non ? Et il en a ! Et c'est si beau, voyez-vous,
que quand je les regarde, ça me donne un coup dans la
poitrine & »
En juin 1894, la vente après décès du Père
Tanguy donne à Vollard l'occasion d'acquérir des
toiles de Cézanne, de Gauguin et de Van Gogh à
très bas prix, ainsi que des Suvres d'artistes plus
reconnus, tels Pissarro ou Guillaumin. Vincent Van Gogh a peint
en tout trois portraits du Père Tanguy, dont l un
se trouve au Musée Rodin à Paris. On connaît
aussi un dessin qui est une étude préparatoire
des tableaux de Janvier.
D'autres peintres ont fait le portrait de Tanguy : Bernard,
Cézanne, Daumier, Monet
?
Tanguy
par Emile Bernard
Sources
: Correspondance Vincent - Theo
Vincent à Paris, catalogue du Musée d'Orsay
Remerciements à Bernard Vassor